- Photos de Louis-Mathieu Godin
Tu pars avec des lambeaux de rêves attachés à tes lacets. Le soleil n’est encore qu’une promesse. Ta journée, un horizon, clairement plus lointain que celui au bout de la rue.
Tu sors au moment où l’indigo vire à l’orange dans le ciel de cette journée flambant neuve. Tout s’est mis à jour tout seul pendant la nuit dans ton esprit. La plupart des soucis qui t’empêchaient de dormir quelques heures plus tôt ont profité de la noirceur pour s’enfuir. Ceux qui te restent, tu les laisseras dans ton sillage.
Tu cours à l’aube pour ça, pour la liberté. Parce que personne n’a besoin de toi, que ton téléphone ne vibrera pas ni n’émettra d’alerte de notification. La journée n’a pas encore eu le temps d’empiler les sources de stress sur tes épaules. Cette légèreté est divine, tu la savoures.
Le vent n’est pas levé encore lui non plus. Comme la plupart de tes concitoyens, il attend quelque chose pour s’élancer, dirait-on. Un signal invisible qui se fond dans le cours des jours.
Le silence est ponctué de quelques bruits de moteurs, ici et là. En évitant les artères, tu peux te faire croire que toute la ville dort encore, qu’elle t’appartient pour quelques minutes, tandis que les gens sortent de leur lit et se déplient en s’étirant comme des chats.
Tu as lu tous les blogues où des milliardaires racontent comment ils entament leur journée de travail à 5 h. Tu préfères courir avant toute chose. L’aube est une occasion pour faire le plein, pour faire le vide. Courir, c’est toujours un peu les deux. Le vacuum de l’effort aspire tout pour faire place à la nouveauté. Après, même les vieilles idées semblent avoir été polies, améliorées. Brillamment érodées par l’air que tu fends, qui glisse sur ton corps, sur ton visage, et qui étire ton sourire sans que tu le saches.
Mais pas là. Pas ce matin. La félicité des premiers pas dans l’aube te permet de repousser l’échéance de cette reprise des émissions.
Tu inspires l’air matinal. Il remplit tes poumons. Les premières voitures avancent poussivement dans les rues étroites du Vieux-Québec que tu dévales en songeant à ce qui t’attend. L’odeur du café, du pain grillé. Les nouvelles du jour, mauvaises d’où qu’elles viennent. Peu importe, la course te le permet, tu pourras déjeuner en paix.