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Cours ta ville // Courir à l’aube

Cours ta ville // Courir à l’aube

- Photos de Louis-Mathieu Godin
 
Tu pars avec des lambeaux de rêves attachés à tes lacets. Le soleil n’est encore qu’une promesse. Ta journée, un horizon, clairement plus lointain que celui au bout de la rue.
 
Tu sors au moment où l’indigo vire à l’orange dans le ciel de cette journée flambant neuve. Tout s’est mis à jour tout seul pendant la nuit dans ton esprit. La plupart des soucis qui t’empêchaient de dormir quelques heures plus tôt ont profité de la noirceur pour s’enfuir. Ceux qui te restent, tu les laisseras dans ton sillage.

Tu cours à l’aube pour ça, pour la liberté. Parce que personne n’a besoin de toi, que ton téléphone ne vibrera pas ni n’émettra d’alerte de notification. La journée n’a pas encore eu le temps d’empiler les sources de stress sur tes épaules. Cette légèreté est divine, tu la savoures.
 
Le vent n’est pas levé encore lui non plus. Comme la plupart de tes concitoyens, il attend quelque chose pour s’élancer, dirait-on. Un signal invisible qui se fond dans le cours des jours.
 
Le silence est ponctué de quelques bruits de moteurs, ici et là. En évitant les artères, tu peux te faire croire que toute la ville dort encore, qu’elle t’appartient pour quelques minutes, tandis que les gens sortent de leur lit et se déplient en s’étirant comme des chats.
 
Tu as lu tous les blogues où des milliardaires racontent comment ils entament leur journée de travail à 5 h. Tu préfères courir avant toute chose. L’aube est une occasion pour faire le plein, pour faire le vide. Courir, c’est toujours un peu les deux. Le vacuum de l’effort aspire tout pour faire place à la nouveauté. Après, même les vieilles idées semblent avoir été polies, améliorées. Brillamment érodées par l’air que tu fends, qui glisse sur ton corps, sur ton visage, et qui étire ton sourire sans que tu le saches.

Tu augmentes la cadence et tes pensées se délitent. Ton sourire devient grimace. Ta course est une méditation active au soleil levant. La douleur musculaire et l’air qui brûle tes bronches aplatissent l’afflux de tes réflexions. Peu après l’éveil, normalement, ton électro-encéphalogramme évoque déjà la courbe folle de la Bourse un jour de crise. Après la douceur du réveil, qui ne dure qu’un instant, tu te sens assailli par mille questions. C’est le lot de notre époque anxiogène où les journées et les tâches incomplètes s’affichent à l’écran de nos consciences insatiables.
 
Mais pas là. Pas ce matin. La félicité des premiers pas dans l’aube te permet de repousser l’échéance de cette reprise des émissions.
 
Au milieu de l’avenue Maguire, totalement déserte, tu redresses le dos, inspires longuement pour replacer ton souffle et repars vers la ville. Tu fais un détour dans le Bois-de-Coulonge. Des écureuils gros comme des ratons te regardent passer sans se soucier de ta présence. Des arbres qui ont vu Champlain débarquer t’observent de haut. Tu devines leurs racines, les complexes rhizomes qui les relient les uns aux autres et leur permettent de partager des nutriments, de s’avertir en cas de danger – métaphore d’une société qui mériterait de prendre exemple sur cette nature prodigieuse.
Tu remontes Grande Allée, obliques vers les Plaines, redescends vers le Château Frontenac en passant devant le consulat américain. Le fleuve te rassure. Immense. Placide. Son eau s’irise maintenant de reflets rouges et roses. Comme un signal t’indiquant que ce moment de flottement s’achève et qu’il faudra rentrer.
 
Tu inspires l’air matinal. Il remplit tes poumons. Les premières voitures avancent poussivement dans les rues étroites du Vieux-Québec que tu dévales en songeant à ce qui t’attend. L’odeur du café, du pain grillé. Les nouvelles du jour, mauvaises d’où qu’elles viennent. Peu importe, la course te le permet, tu pourras déjeuner en paix.