- Par Ellie Gauthier, nutritionniste
Discussion avec Julien Vézina sur le plaisir de manger
Julien Vézina est co-propriétaire et directeur « cocktails/breuvages » du Honō Izakaya et Honō Ramen dans le quartier Saint-Roch à Québec, deux restaurants aux saveurs japonaises prisées pour leur aspect chaleureux et convivial. Julien est également un amateur de course à pied dans ses temps libres. Il a gentiment accepté de discuter avec moi de ce que représente pour lui le plaisir de manger à travers son quotidien de restaurateur, parallèlement à son intérêt pour la course à pied.
Autour d’un bon café, nous avons exploré ensemble comment l’alimentation nous rassemble, nous procure du plaisir et nous fait renouer avec nos racines. Notre constatation : les aliments sont bien plus que des calories ou des nutriments pour notre corps. Ils s’inscrivent intrinsèquement dans notre univers sociologique et culturel. Nous espérons donc, en toute modestie, que cette petite entrevue sur le plaisir de manger puisse résonner en vous également.
D’abord, quel est ton parcours professionnel?
J’ai un parcours plutôt atypique. Depuis que je suis tout jeune, j’ai toujours senti l’appel d’être mon propre « boss », sans trop comprendre pourquoi. Au CÉGEP, j’ai complété une technique en gestion commerciale et marketing et j’ai ensuite travaillé en marketing Web. J’aimais mon travail, mais je n’étais pas passionné. D’un autre côté, la restauration m’avait toujours à la fois attiré et aussi beaucoup intimidé. Lorsque le Bureau de Poste a ouvert ses portes, j’ai finalement saisi l’opportunité et j’y ai décroché un poste d’hôte. J’ai ensuite occupé les postes de gérant du programme bar au Québec et partenaire au restaurant L’Entrepôt Mont-Royal. Un peu plus tard, je suis allé travailler à l’Atelier pour voir une tout autre approche de la restauration et « faire un peu de volume ». À ce moment, mon associé Patrick Beaulieu et moi avions en tête de créer un bar axé sur les cocktails. Lorsque nous visitions des grandes villes comme Montréal ou Toronto, nous avions l’habitude de fréquenter des « Izayaka », qui veut dire « taverne » ou « brasserie » en japonais, et nous voulions instaurer le concept à Québec. De fil en aiguille, nous avons finalement décidé d’intégrer des plats japonais à notre concept, pour créer un vrai « Izakaya ». Nous avons ensuite fait la rencontre d’Ariane et Thomas, qui se sont joints à nous pour mettre sur pied le projet. Le Honō Izakaya et le Honō Ramen seront ouverts depuis 5 ans et 1 an respectivement en février prochain!
Qu’est-ce que représente pour toi le plaisir de manger?
Quand je pense au plaisir de manger, je pense au partage et aux gens qui se retrouvent autour de la table. D’ailleurs, depuis que je suis jeune, je vois mes parents et mes grands-parents cuisiner et je cuisine souvent avec eux. Les actes de manger et de cuisiner ont donc toujours été pour moi des moments rassembleurs, où l’on partage des connaissances et des souvenirs. Ce sont aussi des occasions de découvrir de nouvelles saveurs et de nouveaux ingrédients.
Pour moi, le plaisir de manger passe aussi par le fait de manger local, autant pour réduire notre impact environnemental que pour consommer des fruits et des légumes plus savoureux. Pourquoi acheter des fraises de la Californie quand on a les meilleures fraises du monde qui poussent à quelques kilomètres d’ici? Et une tomate que ton ami a fait pousser dans Portneuf, ça a tellement plus de saveurs qu’une tomate importée du Mexique, qui a été cueillie à sous-maturité seulement pour qu’elle puisse arriver « rouge » sur nos tablettes d’épicerie après plusieurs centaines de kilomètres parcourus. Sur cette lancée, je dirais même que depuis la Covid, je ressens en quelque sorte l’appel du retour à la terre. En effet, j’ai commencé à suivre des formations et à me documenter davantage sur l’agriculture bio et la permaculture. De plus, comme mon père vient d’une famille d’agriculteurs et qu’il a repris le flambeau de la terre de ses parents pour la « garder dans la famille », je me permets de rêvasser à de futurs projets, sur celle-ci. D’ailleurs, mes deux révélations « pandémie » qui m’inspirent pour leur vision de l’agriculture sont Jean-Martin Fortier (agriculteur spécialisé en agriculture biologique et auteur), et Marc Séguin (peintre, auteur et cinéaste).
Comment est-ce que tes valeurs entourant le plaisir de manger se transposent dans tes restaurants ?
En fait, si tu viens au Honō Izakaya et que tu ne partages pas, tu n’as pas vécu la vraie expérience du Honō Izayaka. Ça fait donc partie de notre discours d’accueil : ici le menu est axé sur le partage, on fait de belles découvertes et au bout du compte, la facture est souvent moins dispendieuse !
Pour l’aménagement du local, on a fait affaire avec l’architecte Charlène Bourgeois, qui comprenait bien nos valeurs. Le local a une allure très sobre, qui rappelle la nature et qui laisse la place à ce qui est vraiment important, c’est-à-dire ce qui se retrouve dans l’assiette et les interactions autour de la table. Le local ne « vole pas le show », mais agrémente plutôt l’expérience, si on peut dire ça comme ça!
En ce qui concerne l’alimentation locale, puisqu’on sert de la nourriture japonaise, c’est difficile de s’approvisionner seulement d’aliments locaux. Toutefois, on fait tout de même affaire avec plusieurs fermes maraîchères et producteurs locaux, que ce soit pour les fines herbes, les fleurs comestibles, les champignons, les légumes biologiques, les petits fruits (camerise, griotte, argousier et cassis), les cidres et les gins. De mon côté, dans le programme cocktail, je trouve que c’est tellement trippant de travailler à la fois avec des spiritueux japonais, du café du Olive et des griottes du Québec, pour ne donner qu’un exemple! On est chanceux : il y a tellement de gens au Japon ou en Amérique du Sud qui rêveraient de travailler avec la camerise, l’argousier, la griotte ou le cassis. D’ailleurs, dans l’un de mes cocktails dont je suis le plus fier, j’ajoute un cordial d’argousiers cultivés par un couple de Saint-Ferréol-les-Neiges et des algues du Québec en garniture pour rappeler le côté japonais.
Qu’est-ce qu’une alimentation saine pour toi ?
Je crois qu’une alimentation saine passe par l’équilibre, autant dans la variété que dans la quantité. Je n’aime pas me mettre d’étiquette. Globalement, je mange beaucoup de légumes et je mange moins de viande qu’avant, mais je me permets quand même de manger de la viande à certains moments et je ne m’empêche pas de manger de la friture ou des desserts non plus. Une alimentation saine pour moi passe aussi par une certaine structure. J’ai besoin d’énergie pour passer à travers mes journées donc il est primordial pour moi de manger fréquemment et en quantité suffisante. Si je ne mange pas suffisamment durant une journée où je combine une sortie de course, 4h de travail de bureau et 6h derrière le bar, c’est sûr que je manque d’énergie!
En conclusion, comment ton intérêt pour la course à pied s’imbrique à ta vision d’une alimentation saine et du plaisir de manger dans un objectif d’équilibre de vie?
La course à pied est importante pour moi autant pour ma santé physique que pour retrouver un certain équilibre dans ma vie. Je gravite dans l’univers des bars et il y a plein de choses qui viennent de pair avec ça : se coucher tard, consommer plus d’alcool, etc. Courir est donc pour moi une microthérapie, dans le sens où ça me permet de mieux dormir, de passer du temps seul, de m’échapper en nature et de gérer mon stress. Récemment, j’ai commencé à courir entre amis et en groupe et j’y prends goût. Je dirais que maintenant, la course à pied est autant un moment « pour moi » qu’un moment de partage et de nouvelles rencontres.
À bientôt,
Ellie :)